Comment soigner une dépression et remonter la pente
La dépression est une vraie maladie, qui nécessite des traitements bien réels. Outre la psychothérapie et les antidépresseurs, il existe d'autres approches comme l'art-thérapie, la neuromodulation et l’électroconvulsivothérapie. Tour d’horizon.
Marie-Josée, 43 ans, avait toujours rêvé d’être ambulancière. Passionnée par son métier, cette tornade rousse de la Rive-Sud de Québec adore l’adrénaline qui vient avec chaque appel. « Tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber, explique-t-elle. Un accident d’auto, un enfant malade, un suicide... Et il faut toujours demeurer solide. »
Elle y arrivait. Jusqu’à un hiver précis, il y a trois ans, lorsque des difficultés personnelles se sont accumulées. Marie-Josée a alors senti qu’elle perdait pied et a commencé à s’isoler. Elle en est venue à ébaucher un plan pour mettre fin à ses jours. À la dernière minute, elle a pensé à ses enfants. C’est à ce moment qu’elle a décidé, enfin, d’aller chercher de l’aide. Diagnostic : dépression accompagnée de crises de panique.
Il s’agit là d’un des grands problèmes du traitement de la dépression : même si on continue de briser les tabous entourant la santé mentale, et même si les thérapies et les traitements font leurs preuves, on hésite encore à demander de l’aide. Selon l’Association canadienne pour la santé mentale, 49 % des gens qui croient avoir souffert de dépression n’ont jamais consulté de professionnel à ce sujet.
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Cette crainte de jugement, Marie-Josée l’a vue s’envoler dès qu’elle a franchi les portes de la Vigile, à Québec, un organisme venant en aide aux travailleurs des services d’urgence qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ou psychologique. Pendant un mois, elle y a suivi des ateliers psychoéducatifs, tout en consultant sur place un médecin et un psychologue. Les premiers jours de thérapie ont été difficiles, avoue-t-elle. Et accepter la médication s’est avéré ardu... « Quand je sentais les émotions grimper, il y avait toujours quelqu’un pour me prendre la main, en silence », raconte-t-elle. Tranquillement, Marie-Josée a remonté la pente.
La dépression est une maladie qui ne se soigne pas toute seule et qui peut s’aggraver si on ne fait rien. Tous les spécialistes le confirment : une dépression non traitée risque de faire des ravages et d’affecter grandement la santé physique. « Cela peut même mener à une mort prématurée, notamment dans les cas de maladies cardiovasculaires », explique Valérie Tourjman, psychiatre et chercheure au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
Quand consulter ?
Les causes et les symptômes d’une dépression varient d’une personne à l’autre. Si vous avez de la difficulté à fonctionner au quotidien, à vous concentrer sur une tâche ou à prendre des décisions, ou si vos habitudes de vie sont modifiées de manière draconienne (vous dormez beaucoup plus qu’à l’habitude ou, au contraire, vous faites de l’insomnie), vous devriez consulter.
À la suite d’une séparation, d’un deuil ou d’un congédiement, des sentiments de tristesse et d’isolement sont naturels. Or, s’ils persistent, ils peuvent indiquer une dépression. D’autres facteurs sont à considérer : par exemple, si vous avez déjà vécu un épisode semblable, s’il existe des antécédents familiaux de dépression ou si vous présentez des conditions chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer, etc.). « Récemment, des études ont aussi démontré un lien entre l’inflammation et la dépression », ajoute la Dre Tourjman.
En cas de doute, la première étape consiste à prendre rendez-vous avec un médecin. « Il doit d’abord écarter d’autres possibilités : soit une maladie physique, tel un dysfonctionnement de la thyroïde, ou une autre maladie psychiatrique, comme le trouble bipolaire », explique Marie-Claude Desmarais, médecin de famille à Montréal. C’est ce professionnel de la santé qui abordera avec vous la question de la prise de médicaments.
La médication : un premier pas vers la guérison
Les antidépresseurs sont souvent le premier traitement offert après un diagnostic de dépression majeure. Mais il ne s’agit pas de pilules magiques. « On ne peut pas prédire lequel ou lesquels agiront le mieux sur une personne », affirme la Dre Desmarais. En l’absence d’amélioration significative ou en présence d’effets secondaires indésirables, un suivi médical régulier permettra de modifier la dose ou de changer de médicament.
Facile ? Pour Mylène, mi-trentaine et mère de deux enfants, ce fut laborieux. Il a fallu trois mois d’essais et d’erreurs pour trouver le bon médicament et le bon dosage. Comme les antidépresseurs mettent de deux à quatre semaines avant de faire effet, pas facile de rester motivé quand votre état ne s’améliore guère pendant ce temps... Une fois le bon médicament trouvé, le plus important reste à faire, soit le prendre scrupuleusement. Pour un premier épisode, il est suggéré de continuer la médication de six à neuf mois après avoir atteint une rémission, et ce, même si vous vous sentez mieux.
« Arrêter plus tôt met la personne à risque de développer une résistance au traitement », explique le Dr Pierre Blier, professeur au Département de psychiatrie de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en psychopharmacologie. Un danger réel, puisqu’à chaque récidive, la dépression est plus profonde… et plus longue à traiter. « Beaucoup de gens redoutent une prise prolongée d’antidépresseurs, ajoute-t-il. Je les encourage fortement à craindre la maladie, pas le traitement. »
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La science derrière les antidépresseurs
Encore aujourd’hui, les mécanismes liés à la dépression n’ont pas livré tous leurs secrets. Maintenant qu’il a été démontré que certains facteurs externes (deuil, perte d’emploi, etc.) génèrent un haut taux de stress difficile à assimiler, les experts se penchent sur le dysfonctionnement de trois neurotransmetteurs : la sérotonine, la dopamine et la noradrénaline. En temps normal, leur rôle consiste à acheminer l’information entre les neurones. Pour rétablir leur efficacité, l’antidépresseur accroît ou inhibe l’activité d’un ou de plusieurs neurotransmetteurs, selon l’effet recherché.
Comme ils sont bien tolérés, les deux types d’antidépresseurs souvent recommandés comme premier traitement sont les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). « Dans les cas plus sévères, on peut combiner les deux types afin d’élargir le spectre d’action, explique le Dr Pierre Blier, professeur au Département de psychiatrie de l’Université d’Ottawa. On peut aussi amorcer le traitement avec des stabilisateurs de l’humeur si on soupçonne un trouble bipolaire qui inclut des épisodes dépressifs. »
D’autres pistes pharmacologiques sont aussi examinées. Récemment, des chercheurs américains se sont penchés sur la prise de petites doses de kétamine, un anesthésique utilisé depuis plus de 40 ans. Bien que les recherches étudient encore son mécanisme d’action, on sait que son utilisation permettrait de réduire les symptômes liés à la dépression. « L’avantage de ce produit, c’est qu’il peut fonctionner en deçà de 24 heures, et chez des patients résistants. Nous sommes en voie de le comparer aux électrochocs », indique le Dr Blier.
Et la thérapie ?
C’est en thérapie que Chloé (prénom fictif), enseignante en arts et maman d’une ado, a réussi à mieux comprendre ce qui lui était arrivé ces dernières années. Quand elle parle de « sa » dépression, les souvenirs sont parfois flous, voire inexistants. Après la naissance de sa fille, elle traîne un peu de la patte. À 30 ans, elle se sent fatiguée, parfois dépassée par ses nouvelles responsabilités. « Comme toutes les mères, j’imagine », se dit-elle alors.
Pendant quatre ans, Chloé passe une foule de tests physiques pour essayer de poser le bon diagnostic sur sa fatigue, ses maux de ventre et ses palpitations. Puis, un jour, elle se rend compte qu’elle est incapable de lire un roman, et que conduire une voiture l’épuise. Chez le médecin, le verdict tombe enfin : dépression post-partum non traitée, devenue une dépression majeure. « Le médecin l’a considérée comme une récidive de dépression, ce qui a nécessité un traitement plus important. Je ne savais même pas que j’en avais déjà fait une ! Ç’a été un choc énorme », avoue-t-elle.
Après avoir commencé à prendre ses médicaments, Chloé entame une thérapie auprès d’une psychothérapeute. La combinaison des deux serait plus efficace qu’une approche uniquement pharmaceutique, avance une méta-analyse publiée en 2014 dans la revue World Psychiatry. « La thérapie m’a permis de comprendre comment mes comportements avaient pu nuire à mon équilibre mental », explique Chloé. Mylène, elle, a attendu sa seconde dépression pour en entamer une. Elle a vu toute une différence. « Le soutien d’un psychologue m’a aidée à cheminer, à identifier les problèmes et à analyser différemment ce que je vivais », explique-t-elle.
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Ces pistes d’action combinées sont au coeur de l’approche cognitivo-comportementale, qu’on utilise généralement dans le traitement de la dépression. La psychologue montréalaise Julie Roussin s’en sert notamment pour modifier des perceptions ou des comportements. Le nombre de séances varie selon les personnes et leur situation.
« Certaines réagissent rapidement à la thérapie, alors que pour d’autres, les changements s’échelonnent dans le temps », précise-t-elle. Par exemple, une personne endeuillée – qui, de façon générale, se porterait bien, mais qui entamerait une thérapie cognitivo-comportementale et suivrait à la lettre les conseils du psychologue – peut nécessiter une dizaine de rencontres. Un autre patient qui, lui, en serait à sa seconde dépression, et qui aurait à modifier des comportements plus importants (une dépendance affective, par exemple) ou qui aurait de la difficulté à faire des changements dans sa vie risque d’avoir besoin d’un plus grand nombre de séances avec un psychologue.
Des technologies qui sauvent des vies
Il arrive parfois que rien ne fonctionne, comme en témoigne Myreille, chez qui la maladie a pris une forme si rare que même des spécialistes américains se sont penchés sur son cas. « Pendant des mois, j’ai essayé plusieurs médicaments différents, dit-elle. Aucun ne fonctionnait. » Alors que son état se détériore et que son mari craint pour sa vie, elle accepte – un peu contre son gré – d’être hospitalisée. Elle le restera près d’une année complète. Le cas de Myreille n’est pas unique. Au Québec, de 30 à 40 % des patients à qui on a diagnostiqué une dépression sont réfractaires à toute forme de médication, accompagnée ou non de psychothérapie. Dans ces cas-là, l’électroconvulsivothérapie (ECT) peut être d’un grand secours.
Pour une période variant de 5 à 10 minutes, la personne reçoit, sous anesthésie générale, un relaxant musculaire et de l’oxygène. Une convulsion est ensuite induite dans le cerveau à l’aide d’un courant électrique d’une durée de quelques secondes. Au début, deux ou trois traitements par semaine sont nécessaires, et ce, pendant environ trois à quatre semaines. Les traitements peuvent ensuite être espacés selon les besoins. Les effets secondaires courants incluent une légère confusion, des maux de tête et des courbatures. Selon Simon Patry, psychiatre et directeur du Centre d’excellence en électroconvulsivothérapie du Québec, il n’y aurait pas de contre-indications à l’ECT, mais certains troubles de la santé peuvent présenter un risque accru de complications – des problèmes neurologiques, certaines maladies cardiaques ou des allergies aux anesthésiques, par exemple.
Ce traitement, jadis connu sous le nom d’électrochocs, suscite toutefois la méfiance. Les gens l’associent à la chanteuse Alys Robi ou au film Vol au-dessus d’un nid de coucou... Le Dr Patry se fait néanmoins rassurant. « Les choses ont beaucoup évolué depuis les dernières années, notamment le type d’onde électrique utilisée et la diminution des effets indésirables », dit-il. Par contre, un des effets secondaires les plus préoccupants pour les patients reste les pertes de mémoire. « Même si certains souvenirs peuvent définitivement être effacés, la plupart reviennent en quelques semaines », explique le spécialiste.
Le Dr Patry précise que le traitement est offert en dernier recours aux personnes pour qui la médication et la thérapie n’apportent aucun soulagement. « Selon les études, l’ECT agit sur le cerveau comme les antidépresseurs, mais de façon plus rapide », souligne-t-il. Chaque année, de 600 à 800 Québécois reçoivent des traitements d’ECT, qui sont couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Et selon les estimations, de 50 à 60 % des patients atteints de dépression majeure verront leur état s’améliorer grâce à cette méthode. « On réussit à sauver des vies », estime le psychiatre. Myreille acquiesce. « Après six ou sept traitements, la vie, que je voyais tout en gris, s’est teintée de couleurs », dit-elle. La remontée est longue, mais Myreille se sent renaître. Elle s’est remise à la danse, ce qui lui paraissait impossible il y a quelques mois.
L’électroconvulsivothérapie n’est plus la seule option pour les personnes qui souffrent de dépression réfractaire. Également couverte par la RAMQ, la neuromodulation donne elle aussi de bons résultats. La forme la plus utilisée porte le nom de SMTr (pour « stimulation magnétique transcrânienne répétitive »). Placé à un endroit spécifique sur la tête, un stimulateur magnétique émet des pulsations répétées afin d’activer ou d’inhiber certaines parties du cerveau. Le traitement prévoit de 20 à 30 séances (variant de 25 à 40 minutes chacune), réparties sur quelques semaines.
Aucune anesthésie n’est nécessaire. De 30 à 50 % des patients atteints de dépression réfractaire ont vu leurs symptômes diminuer ainsi, rapportent des études. Selon Marcelo Berlim, psychiatre et directeur de la Clinique de recherche en neuromodulation à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, ce traitement devrait être proposé plus tôt dans le processus de soins. « Si on ne note aucune amélioration après l’essai d’un ou deux antidépresseurs, on pourrait penser à la SMTr, qui, selon les recherches, pourrait être mieux tolérée que l’ECT et les antidépresseurs chez certaines personnes », estime-t-il.
Des avenues intéressantes
D’autres types de thérapies, si elles sont bien encadrées par des professionnels, peuvent avoir des effets positifs chez les personnes qui souffrent de dépression. Dans le cas de Chloé, c’est grâce à l’art-thérapie que la guérison a pointé le bout de son nez. « Comme je suis très créative, ma psychothérapeute a pensé que ça pourrait m’aider à défaire certains nœuds dans ma vie », dit-elle. L’art-thérapie permet d’exprimer ses émotions à travers le dessin, la peinture, le collage, etc. Chloé précise qu’il s’agit d’une approche complémentaire et qu’elle a continué à consulter sa psychothérapeute tout au long de sa guérison, en plus de prendre ses antidépresseurs. « Chacun a eu un rôle à jouer dans ma rémission », résume-t-elle.
De son côté, Marie-Josée a trouvé un grand calme intérieur grâce à la méditation. Myreille en fait aussi, en plus du yoga. « Les approches alternatives peuvent être un complément aux interventions conventionnelles », indique la Dre Valérie Tourjman. La psychiatre met toutefois en garde les personnes atteintes de dépression d’éliminer en bloc les traitements qui sont éprouvés.
La personne avant tout
Et si les gens aux prises avec la dépression pouvaient jouer un rôle dans leur rémission ? C’est le pari qu’a fait l’organisme québécois Revivre, qui vient en aide aux personnes touchées par les troubles anxieux, la dépression ou le trouble bipolaire. Il y a quelques années, cette équipe a mis sur pied des ateliers basés sur l’autogestion de la dépression. L’objectif : redonner à la personne une grande autonomie et une meilleure emprise sur sa santé, en l’aidant à mieux reconnaître les déclencheurs de la dépression, à améliorer ses habitudes de vie et à déterminer ses meilleurs alliés, et ce, tant dans le réseau de la santé que dans le milieu communautaire.
« Des chercheurs ont démontré que cette approche, déjà utilisée pour les maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension, pouvait s’appliquer à la dépression », explique Bruno Collard, directeur clinique de l’organisme. À partir de ce constat, Revivre a construit des ateliers qui ont été validés par toute une équipe de recherche en psychologie communautaire sous la direction de Janie Houle, chercheure et professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Des ateliers d’autogestion de la dépression sont offerts partout au Québec ; visitez le site de l’organisme pour trouver l’endroit le plus près de chez vous.
Aujourd’hui, Marie-Josée a retrouvé ses ambulances et parle sans détour de la maladie mentale, histoire de briser les tabous, un collègue à la fois. Chloé et Mylène assurent qu’elles prennent soin de leur santé mentale en maintenant de saines habitudes de vie. Après avoir écrit un livre sur le sujet (Vaincre la dépression : l’estime de soi au cœur du rétablissement, Médiaspaul, 2015), Myreille donne maintenant des conférences et collabore à divers projets afin d’aider le milieu de la santé à mieux soutenir les gens qui sont atteints de dépression. « Je me considère aujourd’hui rétablie, mais, comme tout le monde, je ne suis jamais à l’abri d’une récidive, résume-t-elle. À chacun de trouver les outils qui lui conviennent pour garder l’équilibre. »
Où trouver de l’aide psychologique ?
Comme la pénurie de psychologues dans le milieu public a fait considérablement augmenter le temps d’attente, vous pouvez vous tourner vers un psychologue ou un psychothérapeute du secteur privé si vos assurances couvrent de tels services. « Certains employeurs disposent d’un Programme d’aide aux employé (PAE) qui offre, sans frais, un nombre prédéfini de séances d’aide psychologique, expose la Dre Marie-Claude Desmarais, médecin de famille à Montréal. Autrement, le CLSC de votre quartier peut vous diriger vers d’autres ressources communautaires locales. »
Pour en savoir plus sur la dépression, visitez le site adieudépression.com
PRÉCISION 26/01/2018: Le texte original a été modifié pour préciser que vous pouvez aussi vous tourner vers un psychothérapeute du secteur privé si vos assurances couvrent un tel service.
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