Thérapies psychédéliques : planer pour retomber sur ses pieds
Ecstasy, champignons magiques et LSD peuvent-ils soigner le choc posttraumatique ou la dépression grave ? Le point sur ces thérapies très prometteuses.
Alexandre Lehmann, Ph. D., chercheur au programme en réparation du cerveau et en neurosciences intégratives de l’Université McGill, étudie les thérapies psychédéliques dans le cadre de ses travaux sur la plasticité cérébrale. Il nous éclaire sur ces approches qui pourraient venir en aide à des patients qui ne réagissent à aucun traitement.
Alexandre Lehmann, Ph. D., chercheur au programme en réparation du cerveau et en neurosciences intégratives de l’Université McGill.
Qu’est-ce qu’une thérapie psychédélique?
Il s’agit d’une approche qui combine un accompagnement psychothérapeutique avec des sessions supervisées de consommation de substances psychédéliques. Avant l’utilisation de la substance, le patient effectue une thérapie préparatoire et il en suit une autre après pour intégrer ce qu’il a vécu. On parle donc d’une « psychothérapie assistée par les psychédéliques ».
De quelles substances est-il question?
Il y a d’abord ce qu’on appelle les psychédéliques classiques. Ils comprennent le LSD, la mescaline, qui est extraite d’un cactus, la psilocybine, qui provient d’un champignon, et la diméthyltryptamine (DMT), présente dans certaines plantes, notamment l’ayahuasca. Ensuite, il y a les psychédéliques non classiques comme la MDMA, connue sous le nom d’ecstasy, et la kétamine.
Comment ces drogues fonctionnent-elles?
Ces substances agissent sur différents récepteurs du cerveau. Elles peuvent altérer la conscience et créer une modification de la perception de soi et du monde environnant. Les psychédéliques aident donc à explorer les pensées, les émotions et les souvenirs d’une manière nouvelle.
Dans le cas des traumatismes, ces substances permettent de revivre certaines situations tout en se sentant plus en sécurité et moins perturbé. Cela peut rendre la psychothérapie plus efficace, puisque les psychédéliques aident les patients à s’ouvrir. Cependant, s’il n’y a pas d’accompagnement thérapeutique pour mettre en place de nouvelles pensées ou de nouvelles habitudes, le patient peut facilement retomber dans le même état négatif, voire empirer sa condition.
Ces substances sont-elles des hallucinogènes?
Auparavant, les psychédéliques classiques étaient appelés des « hallucinogènes ». Le terme a toutefois été critiqué parce qu’il implique que ces substances nous font percevoir des choses qui n’existent pas. Cela n’est toutefois pas le cas. Elles permettent plutôt d’adopter un nouveau point de vue. C’est un psychiatre de la Saskatchewan, Humphry Osmond, qui a proposé le terme « psychédélique » en 1957 dans sa correspondance avec l’auteur de science-fiction Aldous Huxley (Le meilleur des mondes). Il s’agissait alors d’un nouveau mot dérivé du grec qui voulait dire « manifester la psyché » ou « ce qui révèle l’esprit ».
Pourquoi observe-t-on un regain d’intérêt pour ces substances?
La vraie question, c’est pourquoi a-t-on arrêté de les étudier? Il y a eu énormément de recherche dans les années 1940 à 1960. Les Instituts américains de la santé (National Institutes of Health, ou NIH) ont même subventionné des études qui évaluaient leur potentiel pour traiter l’alcoolisme et la dépression. Les résultats étaient prometteurs, mais des décisions politiques ont mené à leur interdiction, ce qui a obligé les chercheurs à mettre un terme à leurs travaux.
Depuis la fin des années 1990, des scientifiques ont progressivement recommencé à faire des études sur les psychédéliques. Grâce à des techniques modernes d’essais randomisées, ils ont pu montrer leur efficacité thérapeutique. Nous vivons actuellement une crise en santé mentale. Dans ce contexte, le domaine est plus ouvert à d’autres solutions. Il y a donc de l’intérêt de la part de différentes associations et de compagnies pharmaceutiques pour développer ces traitements.
Quels problèmes de santé peuvent être traités par la thérapie psychédélique?
Le stress posttraumatique est un bon exemple. C’est un problème très difficile à soigner parce que beaucoup de patients résistent aux traitements. Des essais cliniques de phase 3 sur l’efficacité d’une thérapie associée avec la MDMA sont présentement en cours. Cette substance pourrait donc être mise sur le marché comme un médicament légal aux États-Unis, puis au Canada. C’est la même chose pour la dépression. Les chercheurs testent une psychothérapie avec de la psilocybine.
Des scientifiques étudient également le potentiel des thérapies psychédéliques pour soulager l’anxiété liée à la fin de vie et les dépendances comme celles à l’alcool, au tabac ou aux opioïdes. Ils explorent aussi d’autres maladies pour lesquelles les données sont plus préliminaires. C’est le cas de l’alzheimer, de différentes formes de démence, de la maladie de Lyme, des commotions cérébrales, des troubles obsessifs-compulsifs et de l’anxiété sociale.
Avec quelle efficacité?
Dans le traitement du choc posttraumatique au moyen de MDMA, les chercheurs ont montré que chez des patients qui étaient résistants à tout traitement, 67 % ne remplissent plus les critères de stress posttraumatique après la thérapie. C’est tellement impressionnant que le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (la Food and Drug Administration, ou FDA) a donné un statut spécial à la MDMA et à la psilocybine : le statut de thérapie innovante (breakthrough therapy designation).
Comparativement à d’autres traitements, elles permettent un taux de rémission assez inouï. Habituellement, on va chercher seulement quelques points de pourcentage par rapport au traitement existant. Et on parle ici d’efficacité chez des patients qui n’ont pas réagit aux approches traditionnelles. De plus, dans le cas de la dépression, des études ont montré que la thérapie psychédélique à la psilocybine est au moins aussi efficace que les antidépresseurs. Nous avons toutefois moins de données à ce sujet.
Quels sont les risques associés à ces traitements?
Les substances psychédéliques sont plutôt sécuritaires puisqu’elles ne sont pas toxiques pour les neurones, contrairement à l’alcool, par exemple. Cependant, lorsqu’une personne prend ces substances, elle n’est pas dans son état habituel et a de la difficulté à évaluer les dangers. Par conséquent, il ne faut pas laisser une personne qui a pris une substance psychédélique à elle-même.
Les substances psychédéliques peuvent également créer des expériences de peur, d’anxiété ou d’angoisse profonde, ce que les gens appellent parfois le « bad trip ». Ces effets sont généralement temporaires et se résolvent avec l’aide de professionnels, d’où l’importance d’être accompagné par un spécialiste.
Avant d’entreprendre ce genre de thérapie, il est aussi important de savoir qui l’offrira. Cette personne a-t-elle une formation? Quelle est son expérience des thérapies psychédéliques? Fait-elle partie d’un ordre professionnel? Comme les substances utilisées mettent le patient dans un état vulnérable, être guidé par un professionnel reconnu et expérimenté importe donc.
Par ailleurs, dans les essais cliniques, les participants sont soigneusement sélectionnés. Par exemple, une personne dépressive qui est aussi alcoolique sera exclue de l’étude. Pourtant, il n’est pas rare qu’un patient souffre de plus d’un trouble de santé mentale. Nous avons donc besoin de plus de recherches pour comprendre les risques de ces traitements pour les patients du « monde réel ».
Y a-t-il des contrindications?
Les contrindications dépendent des substances et de l’état de santé du patient. Par exemple, certains psychédéliques peuvent accélérer le rythme du cœur. Une personne présentant un risque cardiaque doit donc être suivie de près. La grossesse en est une autre.
Les thérapies psychédéliques sont aussi contrindiquées pour les gens qui souffrent d’un trouble de personnalité limite, d’un trouble psychotique ou de bipolarité. Il semblerait en effet que chez ces personnes, les substances psychédéliques pourraient provoquer des crises, comme une expérience psychotique temporaire. Nous avons toutefois besoin de plus de recherches pour bien comprendre ce qui se passe chez ces patients.
Par ailleurs, ce genre de traitement n’est pas recommandé chez les personnes qui utilisent des antidépresseurs. Le patient devra donc prendre le temps de réduire sa consommation d’antidépresseurs avant d’amorcer une thérapie avec des psychédéliques.
Est-ce qu’il y a des risques de devenir dépendant après un traitement aux psychédéliques?
La plupart de ces substances ont un potentiel de dépendance plus faible que le tabac ou l’alcool. D’ailleurs, dans plusieurs cas, l’expérience n’est pas très plaisante et ne donne pas envie de la répéter. Cependant, pour la MDMA, le traitement peut être tellement agréable que les gens ont envie de recommencer. Il peut donc y avoir une certaine dépendance psychologique comme c’est le cas pour le cannabis, par exemple.
De toutes les substances psychédéliques, la kétamine est celle qui aurait un plus grand potentiel de dépendance. Toutefois, les doses utilisées en thérapie présentent peu de risques. Les données obtenues dans les études n’ont démontré d’ailleurs aucun potentiel de dépendance ou de toxicité.
Si les traitements sont prometteurs, pourquoi la recherche avance-t-elle lentement?
Faire de la recherche sur ces produits exige de remplir beaucoup de documents, car il faut obtenir un permis de substance contrôlée de Santé Canada afin de pouvoir s’approvisionner auprès d’un laboratoire. Par conséquent, si un chercheur veut faire une étude sur la thérapie psychédélique chez les humains, il devra attendre un à deux ans avant de recevoir son autorisation éthique, son autorisation d’essais cliniques, son exemption de Santé Canada, etc.
Lesquelles de ces substances sont légalement accessibles au Canada?
La kétamine est un médicament légal indiqué comme anesthésiant, mais de plus en plus utilisé « hors indication » contre la dépression. On trouve aussi de l’eskétamine qui a une indication officielle pour soigner la dépression.
Des cliniques proposent ainsi légalement cette thérapie au Canada. Il faut toutefois s’assurer que ces établissements offrent aussi un soutien psychologique. Pour l’instant, ces traitements sont principalement offerts au privé et ils sont couteux. En effet, la kétamine n’étant pas approuvée dans le traitement de la dépression, elle n’est pas remboursée par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et généralement non couverte par les assurances privées. Certains hôpitaux publics ont commencé à offrir des programmes subventionnés aux patients pour qui les traitements traditionnels ont échoué, mais les listes d’attente sont longues.
Pour ce qui est de la MDMA et de la psilocybine, ces substances ne sont pas légales présentement, mais elles risquent de le devenir aux États-Unis d’ici quelques années. Ce pourrait ensuite être le cas au Canada.
Est-il quand même possible d’avoir accès à ces substances illégales dans le cadre d’un traitement médical?
Le Canada a mis en place le Programme d’accès spécial (PAS), qui permet à un médecin de faire une demande auprès de Santé Canada pour que son patient ait accès à de la psilocybine ou à d’autres psychédéliques, mais seulement s’il est en fin de vie ou s’il souffre d’un problème qui résiste à tout traitement. Santé Canada doit alors donner son avis, et le médecin peut ensuite administrer une thérapie psychédélique au patient qui a obtenu l’exemption. La logique derrière ce programme est de rendre accessibles à ces patients prioritaires, qui pourraient en bénéficier, ces traitements avant leur mise en marché.
Les médecins connaissent-ils cette possibilité légale?
Beaucoup de médecins ne sont pas au courant du Programme d’accès spécial ou ne connaissent pas les risques et les bénéfices des différentes substances. De plus, il y a quand même beaucoup de paperasse à remplir, et les médecins manquent de soutien pour préparer ces demandes. On se retrouve donc un peu dans la même situation qu’avec le cannabis médical, il y a quelques années. Il y a une ouverture légale, mais les patients et les professionnels de la santé ne sont pas renseignés à ce sujet.
Dispose-t-on de suffisamment de professionnels de la santé pour accompagner les patients qui font une thérapie psychédélique?
C’est un autre problème. Il n’y a pas beaucoup de professionnels formés et aucune accréditation reconnue. Cela prendra un certain temps avant qu’un système s’organise et qu’il y ait quelque chose de clair qui émerge. En attendant, les patients ont de la difficulté à déterminer si l’accompagnement psychothérapeutique devrait être fait par un travailleur social, une infirmière, un psychothérapeute, un psychiatre ou un médecin. Il reste que pour les gens souffrant de problèmes de santé mentale résistants aux traitements, ces thérapies offrent un nouvel espoir si toutes les conditions sont remplies pour qu’elles soient sécuritaires.
L’entretien a été édité pour plus de clarté et de concision.
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